C’est quoi être non binaire ?

Cet article est une retranscription d’une vidéo que j’ai tournée et mise en ligne sur Youtube. Vous pouvez regarder la vidéo ci-dessous et/ou lire la transcription qui suit.

Aujourd’hui on va expliquer ce que c’est la non-binarité !

Déjà avant de définir la non-binarité, ça pourrait être bien de définir la binarité, histoire de bien comprendre de quoi on parle.

La binarité c’est une vision du monde duelle, dans laquelle il n’existe que 2 options qui sont opposées, complèmentaires : le bien et le mal, le blanc et le noir, le masculin et le féminin…

La non binarité c’est donc l’idée contraire, à savoir une vision du monde qui rejette le concept manichéen des opposés pour lui préférer une compréhension plus nuancée et évolutive de l’existant.

Bien souvent, quand on parle de non-binarité, et cet article ne fera pas exception, on l’entend au sens de non-binarité de genre. C’est donc de cela que l’on va parler aujourd’hui.

Mais pas seulement en fait. Car accepter l’idée de la non-binarité de genre c’est forcément accepter la non-binarité en tant que telle dans tout ce qui existe sur terre. Rien n’est jamais manichéen, tout est toujours question de nuance, même si parfois un propos s’entend mieux lorsqu’il est peu nuancé et affirmé de façon binaire.

“Un chat est un chat quoi”, pas besoin de nuancer dans ce cas là… Sinon on se retrouve à devoir définir chaque mot qu’on utilise, ce qui est un exercice loin d’être inintéressant mais pas le propos ici…

Pourquoi se définir comme non-binaire ? Et d’abord ça veut dire quoi etre non-binaire en terme de genre ? Pour l’expliquer, il faut d’abord dire en quoi la société dans laquelle on vit est binaire et en quoi c’est une aberration.

La société, et quand je dis ça je parle de celle que je connais à savoir la société occidentale moderne et plus spécifiquement française, j’évite de parler de ce que je ne connais pas, la société donc, nous impose seulement 2 possibilités : être un homme ou être une femme. 

Et généralement elle se base, pour ce faire, sur l’observation de nos organes génitaux. 

Quitte à mutiler des bébés s’ils ne correspondent pas assez à l’idéal souhaité de ce que doit être un sexe de garçon et un sexe de fille. Juste pour s’assurer que la non binarité ne soit même pas une option dans nos têtes. 

Même quand la nature cherche à nous montrer que rien n’est duel et que tout est nuances, on les efface artificiellement pour nous empêcher de penser ces nuances. La matrice a décidé que le monde était binaire, normal puisqu’elle fonctionne comme un programme informatique mais c’est un autre débat dont nous discuterons une autre fois, donc elle nous impose cette binarité à tous les niveaux de notre existence.

On a attribué à ces différences biologiques des comportements, des codes, des stéréotypes que l’on va ensuite nous obliger à adopter pour correspondre à ce que l’on a entre les jambes. Cela va commencer avant même notre naissance dès l’instant où l’échographie aura révélé ce minuscule détail de notre anatomie. Cela va engendrer tout un tas de comportements différenciés de la part des adultes qui vont nous accueillir à notre naissance et cela ne s’arrêtera jamais. Tout ce qu’on va vivre dépendra uniquement de cette assignation de naissance basée sur l’observation de la forme de notre sexe qui, à elle seule, n’indique réellement qu’une seule chose : la nature de notre rôle dans le processus de procréation.

Donc au moment de notre naissance, c’est à dire très loin du moment où l’idée de procréer commencera à émerger en nous, on nous attribue déjà un rôle avant même de savoir si seulement on souhaitera procréer.

La société nous dit donc que nous ne sommes bons qu’à ça, se reproduire, et que toute notre existence n’a de sens que pour ce seul et unique objectif…

Je sais pas vous, mais perso, je trouve que ça vend pas du rêve comme idéal de vie… J’ai beau avoir des enfants, j’ai pas envie d’être considérée comme un utérus sur pattes… Je suis bien plus que ça…

Et bien, être non-binaire, c’est simplement refuser de se voir imposer par la société une façon d’être au monde basée sur cette binarité artificielle, construite, qu’on cherche à nous faire passer comme naturelle. 

La binarité de genre est tout sauf naturelle, c’est une construction sociale, artificielle, qui n’a été conçue que pour amener la moitié de l’humanité à être dominée par l’autre moitié.

Je vous laisse deviner qui est qui ? 

Je ne vais pas vous faire un cours d’histoire de la construction des genres parce que je ne suis pas historienne et que j’en suis donc bien incapable, mais juste vous dire que cette construction sociale binaire qui nous parait aujourd’hui avoir toujours existé est en fait relativement récente dans l’histoire de l’humanité et également circonscrite à certaines régions du monde seulement. 

Je n’en dirai pas plus sur le sujet, si ça vous intéresse, d’autres en parlent bien mieux que moi notamment Lexie de la chaine Agressively trans, l’idée est seulement de vous dire que cela n’a rien d’universel contrairement à ce que l’on tente de nous faire croire. 

La binarité de genre est une construction sociale, c’est indéniable, ça ne se discute pas, ce n’est pas un thème de débat, c’est un fait. On a le droit de se positionner comme on le souhaite vis-à-vis de ce fait, à savoir est-ce que cette construction sociale est légitime, justifiée ou pas, mais on ne peut pas discuter de sa réalité.

Comme je l’ai dit, cette binarité artificielle du genre a été conçue pour orchestrer la domination d’une moitié de la population sur l’autre. Quel est l’intérêt vous me direz ?

Je vous entends venir, “Cette vision des choses c’est juste de la théorie du complot”… Peut-être… mais personnellement je préfère faire partie des complotistes que des comploteurs… 

 Et bien l’intérêt c’est de nous déséquilibrer pour mieux nous contrôler. Nous sommes tous porteurs des 2 polarités, masculines et féminines, même si nous le verrons plus loin la non-binarité va bien au-delà de ce spectre. Ainsi, abimer l’une de ces 2 polarités, le féminin en l’occurrence, fait du mal aux personnes assignées à ce genre bien sûr, mais pas seulement, elle fait également du mal à ceux que l’on assigne à l’autre genre, le dominant, car ils sont eux aussi porteurs de la polarité féminine, mais on le leur interdit.

Le Féminin en tant que polarité doit être réhabilité, réparé au niveau sociétal, mais pour cela il faut le détacher entièrement de la biologie, non pas dans son rôle symbolique vis-à-vis de la procréation car cette association est porteuse de sens, mais dans l’idée que l’individu détenteur d’utérus ne devrait incarner QUE le féminin. 

Notre rôle dans la procréation incarne la polarité féminine certes, mais nous ne sommes pas que des êtres destinés à procréer. Notre corps incarne la polarité féminine dans son rôle de reproduction mais nous ne sommes pas notre corps. 

Nous sommes des êtres spirituels incarnés dans un corps sexué.

Et comme nous l’avons vu, ce corps sexué n’est pas nécessairement binaire, et n’est pas nécessairement destiné à la procréation, nombre de personnes sont stériles, elles n’en sont pas moins humaines, n’est-ce pas ? Une femme stérile n’est pas moins une femme qu’une femme fertile, de même pour les hommes. Cette vision du monde est archaïque et je ne vis pas dans ce monde là personnellement, grand bien vous fasse si c’est celui dans lequel vous vivez…

Le féminin en tant que polarité, qu’énergie, qu’archétype (et non stéréotype !)  est une dimension plus ou moins présente chez tout le monde et peut s’exprimer de toutes les manières possibles et imaginables.

Pourtant, on voudrait le circonscrire à un rôle de dominé, de soumis, d’inférieur, de faible, d’inconstant, d’hystérique, de domestique, de serviable, corvéable même, de doux, de disponible, de gentil… 

Et qu’est-ce qui se passe quand on nait avec un vagin et qu’on ne se reconnait dans aucun de ces qualificatifs ? On se voit expulser de ce genre qu’on nous a assigné. On n’est plus rien.

Avant d’aller plus loin sur cette question, petit détour qui, à lui seul selon moi, prouve que le féminin a été dévoyé dans nos sociétés, au cas où vous n’en seriez pas encore convaincus à ce stade : vous serez d’accord avec moi pour dire que le féminisme est l’équivalent pour les femmes de l’anti-racisme pour les personnes non blanches.

Alors pourquoi est-ce que ça ne choque personne que des gens se disent ouvertement anti-féministe ? Si quelqu’un s’affirme ouvertement raciste, il se fait gravement attaquer, il apparaît comme un réactionnaire facho. Alors pourquoi laisse-t’on parler ouvertement ces personnes qui se disent “pro-femmes mais anti-féministes”… C’est quoi cette expression franchement ? Qu’est-ce que ça dit d’autre que “je veux que les femmes restent enfermées dans le stéréotype avilissant et réducteur dans lequel on tente de les maintenir de force”.

A quel moment, et dans quel monde, de tels propos sont acceptables ?

Mais revenons à ce qu’on disait précédemment, que se passe-t-il quand on nous assigne un genre dont les caractéristiques nous sont inaccessibles ?

Je vais prendre mon exemple, non pas par égocentrisme forcené mais parce que c’est celui que je connais le mieux et que je n’aime pas parler de ce que je ne connais pas et n’ait pas expérimenté par moi-même.

J’ai été assignée fille à la naissance, sur la base de l’observation de mes organes génitaux. Du coup on m’a mis dans une case, on m’a élevé d’une certaine manière, habillé d’une certaine manière, parlé d’une certaine manière, qui n’avait rien à voir avec la façon dont on traitait mon frère ainé. 

On m’a demandé d’être une fille. Et j’ai essayé. Vraiment. Pendant très longtemps. 

Parce que je suis du genre bonne élève d’une part, et que j’aime relever les défis d’autre part. 

J’avais beau savoir au fond de moi que j’étais pas une fille, je le savais déjà en maternelle, je voyais bien que le monde entier voulait que j’en sois une. Quand on a le monde entier contre soi, ça sert à rien de lutter, je me disais. 

Et quand je voulais être un peu plus moi-même on me disait que j’étais un “garçon manqué”. C’est terrible cette expression, ça te dit quand même que t’es un ratage à tous les niveaux. T’arrive pas à être une fille mais tu es “manqué” en tant que garçon. Donc t’arrive pas à être quoi que ce soit si ce n’est le ratage d’un ratage quoi… Donc t’existe pas. Du coup tu essaies d’être une fille parce qu’on ne te laisse pas le choix. Soit tu es une fille, soit tu n’es rien.

J’ai essayé mais j’ai jamais réussi. Donc au bout d’un moment tu finis par lâcher l’affaire et accepter que t’es pas une femme, t’en as jamais été une et t’as jamais été une fille non plus. Donc t’es quoi au bout du compte ? 

Et là tu vois apparaitre sur internet le mot “non binaire”. Et là c’est un boulevard qui s’ouvre devant toi. Tu savais que c’était ce que tu étais mais tu n’avais juste pas le mot pour le dire. Et ça y est on te donne enfin un mot qui te permet de dire qui tu es, qui te permet de t’accepter en tant qu’être humain. Tu n’es pas ratée, tu es juste différente.

Mais la vraie question dans tout ça, c’est pourquoi, est-ce qu’on aurait besoin d’un mot pour dire qu’on est né avec un vagin mais qu’on ne se reconnait pas dans le stéréotype du féminin tel qu’il nous est imposé ?

Et donc, la question de la representation se pose : est-ce que je ne me sens pas femme parce que je n’en suis pas une ou est-ce parce que l’image stéréotypée de la femme que l’on nous vend est un “idéal” inaccessible ? 

Prenons un cas précis : les détransitionneurs ou plutôt les détransitionneuses car elles sont bien plus nombreuses et qu’on va appliquer ici une vieille règle de la langue française, à savoir la règle de l’accord du plus grand nombre. Elles sont plus nombreuses donc on va genrer au féminin même si cela inclue des hommes.

Oui parce que le masculin qui l’emporte sur le féminin, faut pas déconner non plus… Cette règle qu’on nous fait passer pour la seule règle de la langue française quand il s’agit de l’accord du genre n’en est qu’une parmi tant d’autres, à savoir justement l’accord du plus grand nombre ou l’accord de proximité… C’est juste un CHOIX conscient de n’enseigner QUE celle-ci dans les écoles… Comme par hasard… Venez encore me dire après ça que notre société n’est pas sexiste…

C’est quoi une détransitionneuse ? C’est une personne qui, ne se reconnaissant pas dans son genre assigné à la naissance a entamé une transition vers le genre opposé, devenant donc “transgenre”, transition sociale et parfois physique mais pas toujours, et qui, une fois installée dans ce nouveau genre qu’elle pensait être le sien, se sent encore plus mal à l’aise que dans son genre assigné et décide donc de revenir en arrière vers son genre initial.

Ce sont donc pour le dire autrement, des personnes qui ont choisi de devenir transgenre puis ont changé d’avis.

Ces personnes sont très intéressantes à de nombreux niveaux mais on ne va pas les étudier aujourd’hui sous un autre angle que celui-ci : l’immense majorité des détransitionneureuses sont des personnes qui ont été assignées filles à la naissance, ont choisi d’essayer d’être des hommes puis ont choisi de “redevenir” des femmes socialement.

Qu’est-ce que ça nous dit des stéréotypes de genre ?

Et bien qu’il est bien plus courant de se sentir mal à l’aise avec le genre féminin sans pour autant se reconnaître réellement dans le genre masculin, que l’inverse.

Dit autrement : le genre féminin est bien moins confortable à vivre dans nos sociétés modernes que le genre masculin. Au point que des personnes qui ne sont pas réellement transgenres (sinon elles n’auraient pas forcément détransitionné, même s’il existe bien sûr des tas de raisons pour entamer une détransition mais c’est un autre débat)  puissent penser à tort qu’elles se sentiront mieux dans le genre dominant avant de s’apercevoir que ce n’est pas le cas.

Elles sont bel et bien des femmes mais l’idéal féminin et ses exigences est tellement inconfortable et réducteur  qu’elle s’en sentent exclues. Elles ne peuvent accepter leur statut de femme que par l’expérimentation de l’autre polarité qui, par contraste, leur montre alors que si elles ne sont pas des hommes, elles ne peuvent être que des femmes (si tant est qu’on accepte une vision binaire du genre, mais on y reviendra).

A l’inverse il y a beaucoup moins de détransition de personnes assignées garçon à la naissance qui transitionnent vers le genre féminin. 

Transitionner vers le féminin c’est accepter d’abandonner son statut de dominant pour aller vers un statut doublement dominé à savoir celui des femmes, ET celui des personnes trans. Personne n’a plus à perdre en terme de statut social qu’une personne perçue comme homme qui choisit d’assumer qu’elle est une femme. Leurs détransitions sont donc beaucoup plus rares car leurs raisons de transitionner ne tiennent pas à leur statut social mais uniquement à leur mal-être de se voir imposé un genre assigné qui n’est pas le leur.

Donc revenons à la question initiale : pour quelle raison est-ce que je ne me sens pas femme ? Est-ce réellement un ressenti intérieur intrinsèque ou est-ce un rejet des injonctions irréalistes faites aux femmes ? 

Et peut-on réellement avoir un ressenti intrinsèque de genre indépendamment de tout stéréotype genré imposé par la société ? 

Peut-on réellement ressentir sa polarité féminine ou masculine au-delà de l’image biaisée du  féminin et du masculin qui nous a été imposé depuis si longtemps ? 

Peut-on réellement percevoir des choses qui ne nous aient jamais été inculquées par le monde dans lequel on vit ?

Au-delà de la portée philosophique de toutes ces questions, auxquelles je n’apporterai pas de réponses aujourd’hui, personnellement la seule réponse que j’ai trouvé  face à la question douloureuse de mon genre a été de me définir comme non binaire tout en me genrant la majeure partie du temps au féminin. 

Je choisis de ne pas rejeter le féminin en moi mais de l’inclure dans une identité bien plus large, celle de la non binarité, donc celle du refus des stéréotypes. Je suis une femme mais pas que, je suis aussi un homme en partie et plus encore que je ne suis une femme, et aussi autre chose qui n’est ni homme, ni femme. En tant que tel je suis non binaire.

On ne peut pas évoquer la non-binarité sans évoquer la transidentité qui en tant que telle dans sa définition inclue toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans leur genre assigné à la naissance. 

L’un des arguments choisi pour définir la transidentité, notamment dans le milieu médical, est la présence de dysphorie de genre. Cet argument est discutable et discuté, mais il est néanmoins passionnant. 

En tant que personne qui souffre moi-même de dysphorie de genre je me suis énormément questionnée sur la raison qui a causé ce trouble en moi.

Rappelons rapidement ce qu’est la dysphorie de genre : c’est une souffrance liée à l’inadéquation perçue entre notre genre assigné et notre genre réel. 

Exemple : j’ai des seins alors que je sais être un homme donc voir mes seins dans la glace génère une souffrance chez moi car je ne me reconnais pas dans le miroir quand je me regarde. Cela crée une confusion en moi entre ce que je suis et ce que j’aimerais être. Certains choisiront donc de se faire retirer les seins afin que leur corps ressemble plus à ce qu’ils sont intérieurement.

Mais les souffrances engendrées par la dysphorie de genre vont bien au-delà de la simple question de notre image dans le miroir ou du son de notre voix.

La dysphorie peut nous induire en erreur dans notre orientation sexuelle, nous amenant à confondre ce que l’on aimerait être avec ce qui nous attire chez les autres, elle nous empêche d’avoir une sexualité épanouie car notre corps nous empêche d’accomplir l’acte tel que nous le fantasmons, elle nous interdit simplement d’être qui nous sommes et de nous aimer pour ce que nous sommes. 

Et cela est dû uniquement à un message erroné qu’on a voulu nous faire passer de force à la naissance. On nous a condamné dès l’échographie à une vie de frustration et d’errance identitaire.

En effet, au-delà de la souffrance réelle que cette inadéquation cause, à tous les niveaux de notre vie, et la vulnérabilité que cela engendre, jusqu’au suicide parfois, ainsi que les discriminations qui vont avec lorsque l’on tente de réduire notre dysphorie en adoptant des codes, notamment vestimentaires mais aussi corporels par l’hormonothérapie ou la chirurgie, rattachés au stéréotype de l’autre genre, la dysphorie de genre pose la question de son origine.

Si on ne m’avait pas dit qu’avoir des seins impliquait certains stéréotypes aussi bien vestimentaires que comportementaux, stéréotypes que je rejette en l’occurrence, est-ce que je ressentirais un tel rejet concernant ma poitrine ?

Personnellement, je suis sûre que non.

Quelle est la réelle différence entre une lesbienne butch, c’est-à-dire une femme qui rejette consciemment tous les codes associés aux stéréotypes féminins mais qui se dit Femme, et un homme trans, c’est-à-dire une personne assignée fille à la naissance qui rejette le statut même de femme parce qu’elle rejette consciemment tous les codes associés aux stéréotypes féminins ?

La seule différence entre les 2 c’est le souhait de se dire femme ou non. Et donc la définition que l’on donne au mot femme, indépendamment des stéréotypes.

Est-on une femme si on aime les femmes ?

Est-on une femme si on ne peut pas procréer parce qu’on n’a pas d’utérus ?

Est-on une femme si on a un taux de testostérone naturellement élevé au point de se voir refuser l’accès aux jeux olympiques ?

Est-on une femme si on se fait retirer les seins, l’utérus, que l’on prend de la testostérone et qu’on se fait construire un pénis artificiel ? 

Qu’est-ce qui fait de nous une femme ? 

Et pourquoi est-ce qu’on ne se pose cette question que pour les femmes ?

Pourquoi est-ce qu’on ne se demande jamais ce qui fait d’un homme, un homme ?

Chacune de ces questions nécessiterait certainement une conférence à elle seule pour tenter d’y trouver un début de réponse, qui ne ferait de toute façon pas l’unanimité…

Mais vous me direz, pourquoi aborder toutes ces questions féministes dans un article censé définir la non-binarité de genre ?

Et bien parce que je pense personnellement que toutes ces questions sont des non-questions qui n’amènent qu’à des impasses et que la seule bonne réponse à tout cela est tout bonnement la destruction de tous les stéréotypes de genre et du concept même de binarité de genre.

Aussi longtemps qu’on voudra nous faire croire qu’il n’y a que 2 options possibles, cela justifiera la domination de l’un sur l’autre et la mise en valeur des différences entre les 2, et donc la souffrance des personnes qui sont exclues de ces codes artificiels.

La non binarité de genre est le salut de l’être humain, son avenir, sa seule option pour accéder à une réelle liberté de dire qui iel est. La non-binarité de genre nous ouvre une porte pour sortir de la matrice réductrice qui nous enferme depuis trop longtemps dans des concepts surannés et artificiels.

Au passage, petit point de lexique, il existe un terme pour désigner les discriminations à l’encontre des personnes non-binaires, et ce terme est enbyphobie (terme qui vient de l’anglais, NB étant les initiales de non binary). C’est une discrimination différente de la transphobie qui vise les personnes trans. En effet, les personnes trans peuvent être binaires ou non binaires, soit par choix, soit parce que leur passing ne leur permet pas encore de s’inscrire dans la binarité de genre aux yeux des autres. Elles peuvent donc être victimes des 2 formes de discriminations en même temps.

Mais quand on a dit tout ça, il y a encore une chose qu’on n’a pas dit. C’est qu’est-ce que le genre en fait ? Au-delà de l’idée même de binarité ou non, au-delà des idées de sexe biologique ou de stéréotypes, on parle de quoi en fait ?

Le genre pour moi c’est plusieurs choses : c’est à la fois l’identité de genre, l’expression de genre et l’intentionnalité de genre.

Et ces 3 éléments sont souvent confondus, à tort. 

L’identité de genre c’est ce que l’on se ressent être profondément.

L’expression de genre ce sont les codes que l’on va utiliser pour exprimer extérieurement notre genre, notre look, notre façon d’être, et cette expression de genre peut utiliser les codes de l’autre genre.

Et l’intentionnalité de genre c’est le genre que l’on cherche à incarner au-delà de ces codes. 

Et même si la nuance peut être difficile à concevoir pour les personnes cisgenres, elle est pourtant bien réelle. 

Personnellement mon expression de genre est androgyne, mon intentionnalité de genre est féminine, c’est-à-dire que je ne suis pas une femme mais que je veux avoir l’air d’en être une, mais mon identité de genre est bien plus complexe et n’est pas juste un positionnement au sein de la binarité homme-femme.

La principale idée à retenir dans le terme “non binarité” est l’idée de continuum, de spectre, de diversité sans limite, d’autodétermination de notre identité au-delà de toute définition extérieure qui souhaiterait nous limiter.

C’est un désengrammage des codes matriciels pour une réinvention créative de ce qu’est le genre. 

Au-delà même d’un positionnement au milieu d’une binarité. 

La non binarité n’est pas seulement un pourcentage de masculin et de féminin, un positionnement sur une ligne droite qui irait du 100% masculin au 100% féminin. C’est un affranchissement du concept même d’opposition entre ces 2 idées du genre.

La non binarité c’est l’idée que n’importe quel mot ou concept peut être utilisé pour décrire notre genre tel que nous le percevons. 

C’est l’idée que personne d’autre que nous même ne peut dire quel est notre genre. 

Et c’est l’idée donc, que la limite de ce qu’est un genre ou de ce qu’il n’est pas est seulement l’étendue de notre imaginaire.

Notre genre peut être une couleur, un objet, une émotion, une sensation, un concept intellectuel, un geste, une phrase, n’importe quoi qui puisse contenir en lui-même le sens que l’on donne à ce que l’on considère représenter cette part de qui nous sommes qu’on peut nommer le genre.

Mon genre à moi il est bleu avec quelques touches de jaune et de rose.

Mon genre à moi il est aérien, volatile, changeant, libre.

Mon genre à moi c’est un cerf, un corbeau, un hibou et un papillon, tout à la fois.

Mon genre à moi il peut tenir dans cette phrase “ je suis un homme efféminé, lesbienne, un pédé qui aime tellement les femmes que j’ai choisi de m’incarner dans le corps de l’une d’elle pour me sentir encore plus proches d’elles”

C’est ça mon genre, bien plus complexe et riche que simplement un positionnement sur une droite qui relierait la masculinité à la féminité.

Seule la non-binarité nous offre cette liberté d’identification et cette liberté de dire qui nous sommes.

Voilà ce que c’est la non-binarité.

Et si les mères élevaient leurs filles comme leurs fils ? (parlons sexisme et notion de genre)

Cet article est une retranscription d’une vidéo que j’ai tournée et mise en ligne sur Youtube. Vous pouvez regarder la vidéo ci-dessous et/ou lire la retranscription qui suit.

D’habitude je commence mes vidéos par “bonjour à tous”, et je me suis rendue compte que c’était pas terrible. C’est une formule assez patriarcale en fait, qui laisse à supposer que le fait que la forme masculine d’un mot l’emporte toujours en cas de mixité, c’est juste normal, alors que c’est tout sauf OK…

Du coup je pourrais dire “bonjour à toutes et tous” mais dans ce cas que fait-on des personnes intersexes et non binaires ? Ca ne laisse pas la place à la neutralité de genre, donc c’est pas OK non plus.

Evidemment, il y a la formule “bonjour à tous.tes” en langage inclusif… Et même si elle a le grand mérite d’exister, je la trouve peu mélodieuse à l’oreille, et pour moi les mots ont une grande importance, je n’utilise jamais les mots que je trouve moches, et il y en a beaucoup. J’ai un rapport très affectif avec le langage et utiliser des mots qui ne me plaisent pas, aussi égaltitaristes et militants soient-ils, ça rentre en collision avec ma sensibilité personnelle, et je m’estime trop pour me faire cet affront à moi-même.

Du coup, aujourd’hui je vais débuter cette vidéo en vous disant, “ Bonjour à vous les humains, je m’appelle Loïs, et aujourd’hui on va parler d’égalité des sexes ! « 

OK, si jamais un jour des extraterrestres regardent cette vidéo ils vont peut-être me trouver discriminante mais il sera toujours temps de modifier ma phrase d’accroche à ce moment là !

Pourquoi parler de sexisme ? 

Certainement parce que de toutes les formes de discriminations qui existent, 

et elles sont nombreuses puisqu’elles concernent toutes les personnes qui ne sont pas des hommes cisgenres blancs hétéro valides catholiques et riches, donc l’immense majorité des êtres humains de la planète en fait, 

donc de toutes les formes de discriminations qui existent disais-je, c’est certainement la plus débile puisqu’elle concerne à elle seule la moitié de l’humanité. C’est-à-dire qu’elle ne peut même pas se cacher derrière la fausse excuse de la minorité.

Ayant grandi en France, dans un village de la campagne normande, j’ai appris que le racisme par exemple, même si c’était mal, avait une forme de logique dans la tête de ceux qui l’exerçaient : il y avait moins de personnes non-blanches que de personnes blanches là où je vivais. Donc les personnes racistes étaient des personnes qui rejetaient ce qu’ils ne connaissaient pas. En tout cas c’était la réponse qu’on me faisait quand je demandais pourquoi aucune fille de ma classe à part moi n’acceptait de danser avec le seul garçon noir de ma classe pour le spectacle de fin d’année.

Dans le cas du sexisme, aucune explication ne peut être avancée, même aussi débile que celle de la minorité, qui, soyons clairs, ne justifie en rien le rejet exercé sur d’autres êtres humains.

 Le sexisme n’a tout simplement aucune justification, même fallacieuse. On exclue par principe la moitié de la population, et ça a l’air d’être OK pour tout le monde, y compris pour beaucoup de femmes, ce qui est quand même à mon avis la seule discrimination défendue par les personnes qui la subissent.

C’est comme si une personne racisée disait que c’est OK qu’elle soit rejetée à cause de son patrimoine génétique. Ca n’arrive jamais. Toutes les personnes qui sont la cibles de discrimination en souffrent et voudrait abolir ce rejet qu’elles subissent.

Sauf une grande partie des femmes qui sont les premières à rejeter le féminisme et à accepter de jouer le jeu du sexisme et du machisme en se battant les unes les autres pour le regard de l’homme.

C’est là la plus grande réussite du sexisme et c’est à ma connaissance la seule discrimination qui a réussi ce tour de force d’être encore plus défendue par ses victimes que par ses agresseurs.

L’infériorité de la femme est tellement partout dans la société qu’elle en devient invisible. Elle est intériorisée par chacun, hommes et femmes, garçons et filles, dès le plus jeune âge. Certains principes sont acquis tellement tôt dans l’apprentissage de l’enfant, qu’on ne peut les remettre en cause qu’avec un effort intellectuel intense à l’âge adulte, ils sont un fondement sur lequel est basé tout un tas d’autres apprentissages, ils sont la base de la pyramide. 

Et qu’est-ce qui se passe lorsque qu’on détruit les fondations d’une pyramide ? Tout s’effondre, et cet effondrement est perçu comme un danger, donc toute idée susceptible de saper nos fondations va être rejeté par principe afin de preserver notre sécurité intellectuelle.

C’est notamment ce qui explique que les femmes sont les premières à maintenir bien fermement le plafond de verre qui les empêche de devenir des citoyens de premier ordre. Accepter que la société les maltraite depuis leur naissance génère beaucoup trop de souffrance et de remise en question.

Cependant, de nombreuses solutions existent pour abolir cette domination masculine et cette idée fausse selon laquelle l’homme blanc hétéro serait la norme de cette société, la version neutre de l’humain, et que toutes les autres versions n’en seraient que des déclinaisons moins abouties.

Etablissons les choses tout de suite :  Il n’y a aucune version neutre de l’humain, il y a juste une petite minorité d’humains qu’on favorise artificiellement au détriment de l’immense majorité, c’est un parti pris sur lequel on peut revenir très facilement, il suffit juste de le décider collectivement.

Il y a donc 2 bonnes nouvelles : la première c’est que les êtres humains discriminés sont plus nombreux que les êtres humains favorisés, donc le jour où on aura décidé de réagir il nous sera très facile de rendre le monde égalitaire de par la force du nombre, il faut juste qu’on se réveille. 

La 2e c’est que la majorité des hommes cisgenres blancs hétéro sont de belles personnes qui n’ont pas envie de dominer les autres et qui, pour beaucoup, n’ont pas conscience de leurs privilèges et seraient ravis de les céder pour un monde plus égalitaire. La plupart d’entre eux sont nos alliés.

Donc la portion de personnes qui cherchent à maintenir le monde tel qu’il est, est ridiculeusement faible. Ils ne réussissent à maintenir cet ordre du monde que parce que nous les laissons faire. Et nous les laissons faire parce que nous croyons que nous n’y pouvons rien, alors que c’est faux.

Comme je le disais, de nombreuses solutions existent pour rétablir l’équilibre entre hommes et femmes et abolir le sexisme, et parmi elles on entend parfois cet argument : « si les mères élevaient leurs filles comme leurs fils, la société deviendrait plus égalitaire en seulement une ou 2 générations. »

Et c’est cette question qu’on va étudier de plus près aujourd’hui.

Cet argument je l’ai moi-même utilisé, notamment parce que j’ai subi une éducation beaucoup trop genrée et particulièrement inégalitaire comparativement à celle de mon frère, mais à bien y réfléchir j’ai pris conscience que les choses étaient loin d’être aussi simplistes, c’est pourquoi j’aimerais qu’on y réfléchisse ensemble aujourd’hui.

D’abord, pourquoi dit-on cela ? 

Au premier abord, ça ne parait pas idiot. On peut se dire qu’effectivement, si une mère éduque différemment son fils et sa fille, elle renforce potentiellement le sexisme de la société en l’appliquant au sein de son propre foyer. Elle inculque à l’un de ses enfants qu’il est supérieur à l’autre et chacun de ses enfants une fois adulte risque donc d’éduquer leurs propres enfants de la même façon, et c’est comme ça que se perpétuent ces aberrations de générations en générations…

Mais aussi logique que cela puisse paraitre au premier abord, il y a de nombreux biais dans cette vision des choses : 

Premièrement, cet argument fait reposer le poids entier de la domination masculine sur… les mères. Donc précisément sur les personnes qui sont discriminées, infériorisées, réduites au silence. 

Est-ce juste ? Pas du tout

C’est comme accuser les africains de leur propre mise en esclavage, c’est comme accuser les natifs américains de leur propre génocide, c’est comme accuser les juifs de l’holocauste. 

Bizarrement, dit comme ça, on prend conscience que faire porter le poids d’une discrimination sur ceux qui en sont victimes c’est profondément injuste, pourquoi est-ce que ce n’est pas aussi clair quand ce sont les femmes les victimes ?

Donc, on pourrait considérer que cet argument serait plus juste si on le formulait ainsi : « si les parents élevaient leurs filles comme leurs fils, la société deviendrait plus égalitaire en seulement une ou 2 générations. » Pourquoi exclure les pères de l’équation ? Parce que ce sont les mères qui sont responsables de l’éducation des enfants ? SEXISME ! Et ce sont les mêmes qui nous diront que la PMA ne doit pas être accessible aux femmes seules et aux lesbiennes parce que la famille DOIT contenir un père… Et pourtant il est d’emblée exclu lorsqu’on parle d’éducation des enfants, cherchez l’erreur…

Et donc, en remplaçant “mères” par “parents” est-ce que cet argument devient OK ?

Pas si sûre…

Pour 2 raisons : la première c’est que le sexisme est tellement ancré profondément dans nos sociétés, que même avec un souhait très fort des parents de proposer une éducation égalitariste à leurs enfants, le message du masculin plus fort que le féminin est partout, à commencer par notre propre langage est ses règles de grammaire aberrantes, mais aussi dans les livres pour enfants, dans les dessins animés, dans les catalogues de jouets, dans les vêtements…

Mais, aussi et surtout dans nos comportements inconscients en tant qu’hommes et femmes. 

Dans la façon dont nous nous tenons physiquement, dont nous marchons dans la rue, dont nous prenons, ou pas, la parole les uns vis-à-vis des autres. 

Donc il faudrait que les parents aient fait un énorme travail de déconstruction intérieure pour appliquer déjà cette égalité genrée à eux-mêmes, car les enfants apprennent plus de ce que l’on est que de ce que l’on dit. 

Je ne suis pas sûre que beaucoup d’humains sur terre, aient réussi à déconstruire intérieurement à ce point les stéréotypes de genre.

Et je précise que c’est vrai quel que soit le modèle familial, avec des parents cisgenres ou transgenres, des familles mixtes, homoparentales ou monoparentales.

Donc une éducation intentionnellement identique pour garçons et filles au sein de la famille ne résoudrait rien si à côté de ça, les enfants perçoivent instinctivement une différence de statut entre homme et femme malgré les discours qui leurs sont tenus. On transmet malgré nous, ce qui nous a été inculqué de force par la société, d’autant plus si on n’en a pas conscience nous-même.

Petit exemple au cas où vous ne souscririez pas à ce point de vue : 

Pourquoi on dit “liberté, égalité, FRATERNITE” ? On pourrait aussi bien dire “liberté, égalité, SORORITE” ? Non ? ça vous choque si on remplace la suprématie du mâle par la suprématie de la femelle ? OK, bah alors « liberté, égalité, SOLIDARITE” dans ce cas là. On a un mot neutre pour une fois, alors pourquoi ne pas l’uitliser au lieu de son équivalent masculin ?

Et puis, c’est quoi cette histoire de déclaration des droits de l’HOMME ? Ils ont où les droits de la FEMME ?

Arrêtons d’utiliser le mot “homme” pour désigner les êtres humains, il y a un mot pour désigner le genre humain c’est, je vous le donne en mille… « HUMAIN » !

Les hommes ça n’est pas l’espèce humaine. L’espère humaine c’est les hommes et femmes, trans et cis, les personnes intersexes et les personnes non-binaires.

Tout ça, ça fait l’humain.

Mais revenons à notre proposition de remplacer “mère” par “parents” dans notre question initiale. 

Il y a un autre argument qu’on pourrait opposer à cette idée que l’éducation parentale pourrait contrer en une ou 2 générations le sexisme de la société : Cela sous-entendrait que la famille est le seul déterminant quand il s’agit d’inculquer les notions d’égalité des sexes, et d’éducation identique pour tous les enfants, quelle que soit leur assignation de naissance.

Dans ce cas, pourquoi les enfants vont-ils à l’école dès 2 ans et demi ou 3 ans ? Pourquoi le congé maternité est-il si court, et le congé parental aussi peu rémunéré ? 

Précisément pour socialiser le plus vite possible les enfants en dehors du cocon familial, en obligeant les parents à les mettre en crèche dès 3 mois ou en réservant le congé parental à des familles où l’un des 2 parents, souvent le père, (sans déconner ?),  gagne un salaire suffisant pour que l’autre puisse arrêter de travailler.

L’explication officielle c’est que ça permet de réduire l’inégalité des chances induite par les différences d’accès à la culture au sein de la famille. Tous les enfants sont réunis au sein de la collectivité très tôt donc bénéficient des mêmes chances de réussite.

Sauf qu’on sait très bien que c’est faux, les sociologues ayant prouvé maintes fois que le déterminisme social n’a pas bougé malgré l’instruction obligatoire, la mobilité sociale restant majoritairement un mythe orchestré par les élites pour nous faire croire à la méritocratie.

L’influence des parents est donc particulièrement réduite sur l’éducation de l’enfant, afin qu’il soit au plus vite inscrit dans une norme commune, en l’occurrence celle selon laquelle les garçons et les filles c’est très différent… 

Donc l’argument selon lequel le modèle familial est le seul référent de l’enfant pour ce qui est de l’égalité des sexes est forcément faux. L’enfant évolue dans une société qui a un message genré très fort, et le message des parents même s’il va à l’encontre, n’a que peu de poids, les enfants passant quotidiennement plus de temps à l’école qu’en famille.

Mais admettons qu’à ce stade vous ne soyez pas convaincus par l’idée que la société elle-même est sexiste dans ses fondements.

Imaginez un instant, un monde où il n’existerait que 2 espèces animales : les singes et les poissons, ils sont tout aussi nombreux les uns que les autres. Dans ce monde, on considère qu’un citoyen pour être respectable doit savoir grimper aux arbres et éplucher des bananes. D’ailleurs les chefs d’état sont élus parmi les meilleurs grimpeurs et le palais présidentiel lui-même est juché en haut d’un arbre. 

Les mondes aquatiques quant à eux sont considérés comme des zones dangereuses, où l’insécurité règne et où le niveau scolaire est bien plus bas. Ceux qui y vivent sont en moyenne bien moins diplômés, et occupent des emplois de ce fait bien moins rémunérés. La pauvreté y règne. 

Lorsqu’un poisson souhaite devenir chef d’état on lui demande donc de prouver sa capacité à grimper aux arbres et à respirer de l’oxygène car s’il n’y parvient pas, il ne pourra de toute façon pas accéder au palais présidentiel. 

Et lorsque les poissons manifestent en disant que le monde est conçu uniquement pour les singes et qu’ils subissent de ce fait de la discrimination, on leur rétorque que c’est faux et que c’est uniquement au mérite que sont élus les chefs d’états, c’est la compétence qui priment et non l’espèce animale…

Ca vous parait absurde comme comparaison ? C’est pourtant bien ce qui se passe dans notre société. Les critères sont basés sur un étalon masculin, qui permet d’évincer les femmes en leur disant qu’elles n’ont juste pas la compétence. Sauf que cette compétence, c’est précisément celle qu’on a refusé de leur inculquer depuis leur naissance sous prétexte qu’elles ont un vagin et non un pénis. 

Donc soyons clairs, quand je dis un étalon masculin, je n’évoque en rien quelque chose qui serait naturellement présent chez les humains dotés d’un pénis à la naissance. Je parle d’un code social qui choisit d’inculquer à ces mêmes humains certaines caractéristiques qui seront ensuite choisies comme seul déterminant pour accéder au pouvoir. Par exemple, une capacité d’analyse froide des choses, sans faire intervenir les émotions dans l’équation. Bah oui, les petits garçons ça pleure pas, tout le monde le sait… 

Quant aux humains dotés d’un vagin, on leur inculque d’autres enseignements qui eux seront considérées comme les caractéristiques des êtres dominés et inférieurs, comme par exemple le fait d’exprimer ses émotions et d’écouter son intuition. 

Tout le monde serait choqué d’avoir un président de la république qui prenne des décisions pour l’État en se basant sur son intuition et ses émotions, non ? Ca paraitrait irrationnel, On attend de lui qu’il agisse avec la tête froide et des analyses chiffrées en tête.

Il est ensuite très facile de dire que les femmes n’ont pas la compétence, on leur a enseigné qu’elles n’avaient pas le droit de l’avoir !

Donc les seules femmes qui se hissent aux plus hautes marches du pouvoir sont celles qui ont refusées de se laisser inculquer qu’elles n’avaient pas le droit, et elles deviennent alors la caution des hommes pour prouver que rien n’interdit aux femmes de diriger, c’est juste qu’elles sont statistiquement moins nombreuses à en être capables, donc cela PROUVE leur infériorité.

Revenons donc à notre question initiale : est-ce que si les parents éduquaient leurs filles et leurs fils de manière identique cela suffirait à établir l’égalité des sexes en 1 ou 2 générations ?

Nous l’avons vu, la société nourrit à tous les niveaux un message sexiste, donc l’influence des parents, aussi importante soit-elle, ne suffirait pas en si peu de temps. Pourtant, les parents doivent éduquer tous leurs enfants de la même manière, c’est indéniable, mais ça ne suffit pas.

Donc elle est où la solution ?

Et bien dans le fait de modifier complètement notre rapport au genre.

Tant qu’on pensera que certains comportements ou centres d’intérêts sont “masculins” et d’autres “féminins”, cela justifiera une hiérarchie entre les 2.

Voir le monde avec ce regard binaire est la source de cette discrimination.

Le genre est un continuum, de même que le sexe biologique. Il n’y a pas juste les pénis et les vagins, il y a tout un panel de possibilités intermédiaires, et les enfants qui naissent avec des organes qui ne rentrent pas dans cette binarité biologique fantasmée sont mutilés à la naissance juste pour nous faire croire que ça n’est pas normal.

Tout cela est une construction sociale qui peut être déconstruite si on le souhaite.

Tout est possible, tous les intermédiaires, et le sexe biologique ne sert qu’à se reproduire, pourquoi en faire un tel fondement de la société ?

Nous sommes humains avant d’être humains doté de tel ou tel organe génital.

Et pourquoi nous faire croire qu’être doté d’un pénis engendre forcément un attrait pour les voitures ?

Ou qu’être doté d’un vagin engendre forcément un attrait pour la couture ?

Tout cela est parfaitement absurde.

Donc pour obtenir l’égalité des sexes, il faut abolir la notion de binarité de genre. En tout cas, c’est ma réponse à moi à cette problématique.

Si vous n’en êtes pas d’accord, vous êtes bien sûr libre de vous exprimer en commentaires, je ne les supprimerai pas sauf bien sûr s’ils sont insultants. Je ne prétends pas détenir la vérité, mais uniquement ma vérité du moment, susceptible de changer, et le débat est toujours enrichissant.

Je ferai très certainement un autre article sur la notion de non-binarité pour aller plus loin sur ce sujet, cette article-ci étant déjà très fourni.

Merci à vous pour votre attention et prenez soin de vous !

La théorie des boîtes : autisme et fatigue, burn-out, dépression

Cet article est une retranscription d’une vidéo que j’ai tournée et mise en ligne sur Youtube. Vous pouvez regarder la vidéo et/ou lire la transcription.

Aujourd’hui j’ai envie de vous parler de fatigue, de burn-out, de crises autistiques et de boites qui s’emboitent 🙂

Petit trigger warning : on va parler de dépression et de suicide, si c’est pas OK pour vous, il vaut mieux passer votre chemin. Surtout prenez soin de vous et faites vous aider. Vous méritez mieux.

Julie Dachez a fait il y a quelques années une vidéo pour expliquer la fatigabilité des autistes en se basant sur la théorie des cuillères, théorie développée par une femme atteinte d’une maladie chronique. 

Je cautionne à 100% la démonstration de Julie Dachez mais j’aimerais aller un peu plus loin pour faire un lien avec les crises d’angoisse, crises autistiques, burn-outs et autres dépressions qui sont causées précisément par cette fatigabilité lorsque nos besoins ne sont pas respectés. 

Même si Julie Dachez dans sa vidéo en explique la raison, j’ai un peu de mal avec l’image des cuillères, l’objet n’ayant pas de lien direct avec la fatigue (je ferai peut-être une vidéo pour expliquer ça plus amplement mais pour résumer j’ai du mal à utiliser une expression imagée si je n’arrive pas mentalement à faire le lien entre l’image et le concept, et là, cuillère, fatigue, j’y arrive pas).

De mon côté je visualise mes réserves d’énergie comme des boites donc ma démonstration se basera sur mon image mentale et non sur celle utilisée par Julie Dachez, mais le concept reste le même.

Imaginez qu’à la naissance vous naissiez avec un capital Vie équivalent à 120 ans d’énergie. 

Jeanne Calment nous a prouvé que c’était possible, alors soyons optimiste, c’est sûrement la dernière fois qu’on le sera.

Visualisez le comme une immense boite remplie à ras bord d’un magnifique liquide bleu. 

Pourquoi bleu ? Parce que le bleu c’est beau. C’est ma couleur préférée et comme c’est ma vision, c’est moi qui choisis la couleur 🙂

A l’intérieur de cette immense boite de 120 ans, il y a 120 boites d’une année.

Chacune de ces boites correspondant à une année d’énergie contient 12 boites d’un mois, qui elles-mêmes contiennent, on va arrondir, 30 boites d’une journée, qui elles-mêmes contiennent 24 boites d’une heure, vous avez compris le concept.

A partir du moment où je suis réveillée le matin, en admettant que je sois en pleine forme ce qui est rarement le cas, et donc avec mes 24 boites d’une heure pleines à ras bord, je commence à creuser dans la première boite d’une heure.

En fonction de ce que je vais vivre je vais vider plus ou moins vite ma boite. Il se peut parfois qu’en seulement 5 minutes, j’ai entièrement vidé ma boite d’une heure, parce que beaucoup de stress, de stimuli, ou trop de choses à faire par rapport à mon énergie disponible.

Je vais donc commencer à creuser dans la boite de ma 2e heure, puis dans celle de la 3e heure.

je peux donc me retrouver à midi avec les 24 boites de ma journée, déjà vide. 

Quand c’est le cas je vais devoir me servir dans les boites du lendemain… Sauf si je peux me reposer pour tenter de remplir mes boites vides, en faisant une sieste par exemple.

Il se peut donc que le lundi à midi j’ai déjà épuisé la totalité des boites de ma semaine, surtout si elles n’étaient pas pleines dès le départ, mais on y reviendra.

Même avec un week-end en mode larve inanimée, ce qui est le cas de presque tous mes week-ends, j’aurai du mal à remplir mes boites suffisamment pour la semaine suivante.

Je risque donc d’entamer ma semaine suivante, avec des boites déjà à moitié vide, qui m’obligeront à taper dans celles de la semaine suivante, et ainsi de suite.

Je vais ainsi vivre ma vie en étant en permanence en dette d’énergie, devant utiliser les boites de mon avenir pour gérer mon présent.

Mais que se passe-t-il lorsque toutes les boites sont vides ?

Oui, les 120 ans potentiels d’énergie vitale avec lesquels je suis arrivée, toutes vides ?

Vous pensez que c’est impossible de vider autant d’énergie à mon âge ?

Détrompez-vous.

Je me souviens d’une conversation précise avec une amie alors que j’avais 34 ans. Je me souviens lui avoir dit que je me sentais déjà épuisée de vivre. J’avais la sensation que juste être en état d’éveil, sans rien faire, c’était déjà réduire mon espérance de vie et mon capital santé. J’étais en fait en train de débuter mon plus gros burn out autistique à ce jour, je n’en avais absolument pas conscience à l’époque ne me sachant pas encore autiste.

Et ce n’était pas la première fois que je vivais cette sensation. 

La première fois que je me souviens de l’avoir vécu, c’était à la fac, j’avais à peine une vingtaine d’années et j’étais juste vidée de tout mon capital. 

J’avais eu une année très chargée, ma 3e année de licence + le passage du permis de conduire qui a été un véritable cauchemar + une vie normale d’étudiante à savoir les soirées, la vie amoureuse, etc… Je croyais encore à cette époque pouvoir vivre comme n’importe qui, en réalité c’était beaucoup trop pour moi.

Cette année là j’ai même été admise aux urgences car je suis littéralement tombée d’épuisement un dimanche matin chez mes parents, j’ai fait un malaise et je me suis écroulée, au réveil, en voulant attraper une bouteille d’eau.

Une bouteille d’eau ça pèse à tout casser 1Kg 5.

C’était trop lourd, et je suis tombée par terre sous le poids de la bouteille d’eau, à 20 ans.

Je sais pas si ça vous donne une idée de mon état d’épuisement.

J’ai redoublé mon année de licence cette année là et c’est ce qui m’a permis de recharger mes boites, n’ayant que très peu de cours à suivre et juste quelques missions d’interims de temps à autre, j’étais majoritairement inoccupée.

c’était mon premier burn-out autistique, j’en ai eu plusieurs autres par la suite.

Dans ces moments là seule une période d’inactivité totale de plusieurs mois permet de se “réparer” : on dort, on agit très peu donc on crée un surplus d’énergie qui vient re-remplir les boites qu’on a vidé prématurément, jusqu’à retrouver un niveau d’énergie correct. 

Mais qu’est-ce qui se passe quand on a pas la possibilité de bénéficier de plusieurs mois d’inactivité totale ?

Parce que quand on est étudiant, c’est une chose, mais c’est quand même rare dans une vie d’adulte ce genre d’opportunité.

Et bien on sombre, comme je l’ai dit dans un burn-out autistique qui de l’extérieur est souvent considéré comme une dépression.

Une dépression qui peut aller jusqu’au suicide. Si si. L’espérance de vie des autistes est drastiquement plus courte que celle des neurotypiques, en partie à cause de ça.

Personnellement, je tiens à peine plus d’un an avec un rythme “classique” de travail. Et quand je dis classique, c’est même faux car comme je l’ai dit, mes week-ends sont ceux d’une larve anémiée. Si j’essayais de vivre réellement comme un neurotypique, à sortir le week end, à faire les magasins, à voir des gens,  je ne suis même pas sur que j’arriverai  tenir plusieurs mois avant de m’effondrer et d’avoir envie de me foutre en l’air.

Et les crises dans tout ça ?

Et bien justement les crises c’est ce qui arrive quand on veut se forcer à faire quelque chose, alors que nos réserves sont vides.

C’est le signe qu’on est en train de creuser notre propre tombe, littéralement, c’est notre corps qui hurle à l’aide.

Que l’on parle de crises autistiques, ou de crises d’angoisse, ça revient pour moi au même, notre corps tente de nous faire comprendre par tous les moyens qu’il est au bout du rouleau et a besoin de repos.

Et chacune d’entre elle abime durablement notre systeme nerveux, notre capacité à s’autoréguler et notre sensation de bien-être. Chacune d’entre elles, nous rapproche de la suivante, car plus on abime notre système nerveux en faisant des crises, moins il est capable de gérer le stress et plus on fait de crises.

Personnellement, des crises d’angoisse et des crises autistiques j’en ai toujours fait, mais plus les années passent, plus j’en fais car j’ai tellement creusé dans mon capital de vie que des choses qui étaient gérables par le passé, ne le sont plus. 

Plus les années passent plus mon autisme me handicape.

Donc pour résumer, une fois nos 120 boites d’ un an d’énergie vidée, ce qui peut arriver avant même l’âge adulte, on creuse dans notre capacité à être vivant, à être heureux et en bonne santé, juste  pour tenter de faire ce que la société attend de nous. Au point de vider toute notre capacité au bonheur, à la joie, à la Vie. Il Ne reste plus alors que les ténèbres, l’épuisement et le désespoir. Et c’est là qu’on attente à nos jours.

Si l’on sait alors qu’on est autiste, on doit trouver une solution pour ne plus travailler, organiser notre vie autrement, faire un dossier de handicap pour tenter de subvenir avec les aides sociales, car nous ne pouvons pas faire autrement. Mais faire ces démarches implique de savoir qu’on est autiste. Quand on ne le sait pas, on consulte un généraliste qui va nous gaver d’antidépresseurs et on va continuer à passer à coté de sa vie sans comprendre ce qui nous arrive.

Je vous fais un rapide panorama de mon parcours pour vous l’illustrer : je vous ai expliqué avoir fait mon premier burn-out vers fin 2004 début 2005, au moment de ma licence. Entre 2005 et 2010 je n’ai jamais travaillé une année complète, j’ai toujours eu plusieurs mois de repos d’affilée.

Fin 2010 j’ai commencé à travailler à temps plein, j’ai eu une pause de 6 mois en 2012 pour mon premier congé maternité. J’ai repris en 2013, et j’ai fait un second burn-out en 2014. J’avais repris le travail depuis seulement une année quand c’est arrivé. J’ai à cette époque commencé à chercher des réponses, l’autisme est rapidement venu sur le tapis, mais j’ai rejeté cette possibilité, je n’étais pas prête à l’envisager.

J’ai été sauvée par ma seconde grossesse début 2015, et je n’ai retravaillé que fin 2016 après un congé parental.

Début 2018, j’ai vécu la scène dont je vous ai parlé avec mon amie, et j’ai fait une immense dépression qu’on pourrait qualifier de 3e burn out autistique. Cette fois-ci j’ai commis une grossière erreur, que je n’aurais pas faite si j’avais su que j’étais autiste, j’ai refusé de demander un arrêt de travail, j’avais peur de ne jamais réussir à reprendre le boulot si j’arrêtais, et j’aimais énormément mon travail, j’avais la sensation que c’était ce qui me permettait de tenir alors que c’était au contraire ce qui creusait ma tombe.

J’ai quand même consulté un psychiatre qui m’a diagnostiqué des “troubles de l’humeur” sans chercher plus loin.

J’ai miraculeusement tenu le coup, non sans passer à “ça” de me suicider, en m’appuyant énormément sur mon compagnon de l’époque qui gérait mes enfants et me laissait me reposer au maximum.

J’ai ainsi réussi à re-remplir mes boites suffisamment pour tenir jusqu’à 2020 mais dans un état dépressif constant.

A cette époque là j’ai senti mon état de santé général se dégrader, j’avais creusé dans mon potentiel de santé et je l’ai senti physiquement. Ma vue a baissée, la qualité de mon sommeil s’est déteriorée.

Quant à ma capacité à être heureuse, j’avais la sensation qu’elle avait disparu pour de bon. Je n’étais vivante que pour ne pas faire de mes enfants des orphelins.

Je me souviens d’une conversation avec ma psy en 2019, lorsqu’elle m’a demandé quel était mon moment préféré de la journée, je lui ai répondu, le soir quand je vais me coucher. A partir de mon réveil le matin, je ne pensais qu’au moment où j’allais enfin pouvoir m’effondrer dans mon lit. Et je vivais comme ça chaque jour, l’un après l’autre, creusant mon capital un peu plus à chaque fois.

2020 m’a momentanément sauvée, grâce au confinement  et au télétravail qui a été une véritable bouée de sauvetage pour moi.

C’est en 2020 que je me suis faite diagnostiquer.

En 2021 le télétravail m’a offert une petite bouffée d’air et j’ai recraqué en 2022, au point cette fois-ci de quitter mon travail. Avec rien derrière. Aucune perspective autre que celle de travailler un petit peu à mon rythme en tant qu’indépendante, une fois que j’en aurai l’énergie. Et je précise que je suis mère isolée. Je suis le seul revenu de mon foyer.

Arrêter de travailler c’est prendre le risque de me retrouver en difficulté financière avec mes enfants. Mais c’est le prix à payer pour ne pas me jeter sous un train.

C’est le prix à payer pour cesser d’hypothéquer mon futur pour tenter de réussir à vivre comme la société voudrait que je vive alors que c’est impossible pour moi.

Aujourd’hui, en 2023, après presque 2 mois d’inactivité totale, je n’ai toujours pas retrouvé ma capacité à ressentir de la joie, qui a disparu pour moi depuis 2018.

Je ne sais pas encore si je retrouverai cette capacité un jour, je l’espère.

Voilà, ce que peut générer la fatigabilité chez les autistes.

On ne parle pas seulement d’une bonne nuit de sommeil pour se remettre, ou même d’un bon mois de vacances.

On parle de suicide, on parle de creuser durablement son capital santé et on parle d’incapacité totale  à ressentir des émotions positives.On parle de ne plus être capable de ressentir de l’espoir ou de croire qu’un jour la vie sera facile.

Ce que j’ai perdu en 2018, en refusant d’écouter mes besoins, je ne le récupèrerai peut-être jamais. En admettant que j’avais au départ 120 années potentielles devant moi, je suis convaincue aujourd’hui d’en avoir perdu plusieurs uniquement liées à l’autisme et à la non prise en compte de mes besoins, par moi-même ! 

Personne ne m’a fait subir ça, je me le suis faite à moi-même, car j’ai cru pouvoir vivre comme les neurotypiques, j’ai cru devoir vivre comme les neurotypiques.

Si je n’avais pas fini par savoir que j’étais autiste, je me serais surement forcée à continuer malgré tout, car le monde entier me renvoyait que j’aurais du être capable de vivre comme ça et que ce n’était pas normal que je n’y arrive pas.

La discrimination qui est exercée sur les personnes autistes, elle est structurelle. Elle n’a même pas besoin de les viser directement, juste d’imposer au niveau sociétal un standard qui nous est complètement inaccessible, et nous oblige à vivre dans la précarité si on veut pouvoir maintenir notre état de santé mental.

Donc la prochaine fois que quelqu’un vous dira qu’il est autiste et que vous aurez envie de lui répondre “ah bon ? ça se voit pas !” demandez-vous si en disant ça, vous n’êtes pas en train de lui tendre une corde qu’il pourrait finir par se mettre autour du cou, car oui, c’est ça le prix de la négation de l’autisme et de nos besoins spécifiques.

Merci à vous pour votre attention et surtout prenez soin de vous.

La diversité est l’avenir de l’humanité

Cet article est une retranscription d’une vidéo que j’ai tournée et mise en ligne sur Youtube en 2023. Vous pouvez regarder la vidéo ci-dessous et/ou lire la retranscription.

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’oublier de laver une partie de votre corps sous la douche ?

Ou de faire une crise d’angoisse parce que quelqu’un vous avait interrompu alors que vous étiez en train de faire quelque chose qui vous passionnait tellement que vous aviez perdu la notion du temps et de l’espace ?

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de renoncer à vous nourrir ou à vous laver parce que la simple idée de devoir mettre votre corps en mouvement était tellement épuisante qu’elle en devenait douloureuse ? Et que même prononcer les mots “je ne peux pas le faire” vous semblait impossible ?

Ou à l’inverse, de vous sentir parfois tellement débordant d’énergie que vous ne savez plus quoi faire avec votre corps pour tenter de vous débarrasser de ce trop-plein ? 

Et d’alterner ces périodes d’hypoactivité et d’hyperactivité sans cesse, sans pouvoir les contrôler ou avoir une quelconque influence dessus, de vous sentir simplement condamné à les subir et à faire avec ?

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de vous sentir profondément mal et oppressé sans être capable de savoir ce qui provoque cette sensation ? 

Est-ce un stimulus extérieur ? Le bruit ? La lumière ? La température ? 

Ou bien est-ce une émotion ? Oui mais laquelle ? Est-ce de la peur ? De la tristesse ? 

Impossible de le savoir et pourtant cette sensation est insupportable, et il faut que quelqu’un finisse par baisser le son de la télé pour que la sensation de soulagement qui suit vous fasse comprendre que le problème c’était le bruit. 

Vous ne l’auriez jamais trouvé tout seul.

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de sourire à votre interlocuteur alors que vous ressentez une profonde tristesse mais que vous n’avez aucun moyen à votre disposition pour exprimer cette tristesse ? Vous savez qu’elle est là, vous la sentez, elle est un poids sur votre poitrine, mais sans comprendre pourquoi, vous ne pouvez pas l’exprimer ou la faire sortir de vous.

Ou d’être incapable de répondre quoi que ce soit quand on vous pose une question car la réponse ne pourrait être qu’une conférence d’une heure et demie et vous vous dites que votre interlocuteur ne souhaitera sûrement pas vous écouter aussi longtemps, et pour cause, vous avez déjà essayé et personne n’a jamais accepté de vous écouter aussi longtemps. 

Au point que maintenant, vous n’essayez même plus de vous exprimer, vous vous contentez de répéter les banalités que vous entendez dans la bouche des autres pour donner l’impression que vous savez tenir une conversation et ne pas être définitivement exclu.

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de connaître la réponse à une question sans savoir expliquer pourquoi ou pouvoir justifier le raisonnement qui vous y a mené ? Au point que si l’on vous demande d’argumenter vous en êtes simplement incapable et passez pour un idiot affabulateur qui ne sait pas de quoi il parle ?

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de vous apercevoir qu’en seulement une après-midi de recherche passionnée sur un sujet vous en saviez plus que des personnes qui s’y intéressent depuis des années ?

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de dire quelque chose à quelqu’un sans avoir l’impression que ce que vous lui dites vient de votre cerveau, mais d’ailleurs ? Comme si vous étiez un canal pour lui diffuser une information qu’il devait entendre ? Et de voir son visage se modifier à mesure que vous lui parlez, et des larmes de soulagement monter dans ses yeux ou un immense sourire se dessiner sur son visage ? 

Et lorsque cette personne vous remercie de ce que vous venez de lui dire, vous êtes presque gêné parce que vous savez que ça ne vient pas de vous mais d’ailleurs, et que vous n’êtes que le poste de radio, pas l’animateur de l’émission qui a fait tout le boulot. Pourquoi est-ce qu’on remercierait un poste de radio pour le travail effectué par l’animateur ?

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’avoir une illumination, de faire un lien soudain entre différentes choses qui ne semblaient pas liées et de l’exprimer à votre entourage et de voir que cette compréhension que vous venez d’avoir les aide à faire eux-mêmes des liens entre des choses et à progresser dans leur propre vie ?

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de vous apercevoir que les phases d’hypo et hyperactivité que vous vivez, aussi pénibles soient-elles, surviennent toujours au bon moment ? Et vous permettent toujours, au final, d’avoir l’énergie dont vous avez besoin pour réaliser ce qui est réellement important, et d’autant plus lorsque vous les acceptez bon gré mal gré ?

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de littéralement voir le futur ? De deviner les actions ou les paroles de la personne en face de vous avant qu’elle ne le fasse ?

Si vous vivez toutes ces choses, ou au moins une partie d’entre elles, vous êtes probablement neuroatypique, possiblement autiste ou TDAH ou même les 2. Bienvenue dans ma vie. Tous ces exemples que je viens de vous citer, je les vis quasi quotidiennement.

Je m’appelle Loïs, je suis autiste, TDAH, dyspraxique, dyscalculique, haut potentiel, non-binaire, lesbienne, minimaliste et vegan En dehors du fait que je suis blanche, je suis une ode à la diversité à moi toute seule.

Au même titre que vous acceptez de me croire quand je vous explique mes difficultés dans ce monde qui n’est pas fait pour moi, je vais vous demander également de me croire quand je vous affirme des choses pour lesquelles je ne peux apporter aucune preuve.

Je ne vous amènerai jamais aucune preuve de ce que j’avance. Aucune source. Soit vous me croyez, soit vous ne me croyez pas. C’est votre choix et je le respecte dans tous les cas.

Comme vous l’avez vu dans les exemples que j’ai pu vous mentionner, certaines de ces particularités peuvent rendre notre existence difficile, mais d’autres nous donnent un avantage non négligeable sur les neurotypiques, c’est à dire les 97% de personnes dites “normales”. Certaines de ces capacités que nous avons nous permettent des choses qu’aucun neurotypique ne pourra jamais faire et en cela, vous avez besoin de nous. Ce qui nous handicape ce ne sont pas nos particularités sensorielles ou notre dysfonction exécutive (la difficulté à mener des actions), ou notre incompréhension des codes sociaux. Non, c’est simplement le fait que nous sommes minoritaires et que ce monde n’est, de fait, pas conçu pour nous. 

Vous avez besoin de nous, tout comme on a besoin de vous.

La neurodiversité, c’est tout simplement l’avenir de l’humanité.

J’en veux pour preuve le nombre de plus en plus élevé d’enfants et d’adolescents et même d’adultes qui sont diagnostiqués. Aujourd’hui il est temps qu’on sorte de notre placard nous aussi car nous sommes la clé pour modifier la matrice de l’intérieur.

On ne sort pas de la matrice, on la fait imploser de l’intérieur pour redéfinir les régles de l’espace collectif.

Pas étonnant que les groupes de jeunes qui essaient de repousser les murs de la matrice en redéfinissant les règles en terme de genre, d’orientation sexuelle, de façon de réfléchir ou de s’adresser aux autres, soient des communautés où le pourcentage de neuroatypiques (autistes, hauts-potentiels, TDAH, etc…) explose tous les scores. Certains leur reprochent de vouloir détruire les repères de la société, ils ne font que détruire les murs qui séparent les êtres humains en différentes catégories. Cette catégorisation des êtres humains c’est ce qui a permis l’apartheid, l’holocauste, les génocides, l’esclavage, le sexisme, le racisme, le validisme, l’homophobie, la transphobie, etc…

Vous avez besoin de nous pour que l’on crée ensemble un monde meilleur, plus inclusif, où plus personne ne serait rejeté pour sa couleur de peau, son genre, son orientation sexuelle, son handicap, son fonctionnement neurologique, ses croyances ou toute autre raison que les humains ont tendance à utiliser pour séparer au lieu d’inclure.

La séparation c’est l’énergie des forces de l’ombre, c’est l’énergie de la matrice artificielle. Nous sommes un collectif varié, avec des compétences variées et chacun a sa place et devrait pouvoir se sentir bien et respecté dans l’espace commun, chacun devrait avoir son espace d’expression.

Il y a quelques années, j’avais publié une vidéo qui disait que les forces de l’ombre avaient reculé et que la matrice artificielle ne tenait plus qu’à nous et à nos croyances. Des personnes m’ont dit que je m’étais beaucoup trop avancé en disant cela car il suffisait de regarder l’état du monde pour voir que ce n’était pas le cas.

L’état du monde actuel ne dépend plus de la volonté de quelqu’un d’extérieur à nous qui souhaiterait nous maintenir en esclavage, voilà ce que je disais dans cette vidéo.

Aujourd’hui notre avenir nous appartient et la matrice artificielle c’est nous qui la maintenons. Il ne tient donc qu’à nous en tant qu’êtres humains de détruire cette matrice artificielle, et ça commence en détruisant les vieilles croyances qui excluent certains humains.

Peut-être ai-je été trop naïve en pensant qu’une fois libérée de cette oppression extérieure à l’humanité,  les humains sauraient trouver leur voie vers la liberté plus rapidement, et en cela je vous ai peut-être donné un espoir qui a ensuite été déçu, et j’en suis désolée.

Aucune force n’est plus dure à contrer que l’inertie. Et aujourd’hui, c’est contre cette force d’inertie que nous devons lutter ensemble. L’humain doit lâcher-prise collectivement. Oubliez vos anciens repères, vos schémas traditionnels, de ce que doit être un homme, une femme, une famille…

Laissez de la place à ceux qu’on entend jamais, les femmes, les personnes racisées, les personnes handicapées, les neuroatypiques, les personnes trans et non-binaires, écoutez les, ils ont une autre vision du monde que celle des hommes cisgenres blancs hétéro catholiques et riches que l’on voit sans cesse dans les médias.

Nous sommes tous différents et nous avons tous notre place dans l’espace commun, et nous avons tous à gagner à écouter les voix des invisibilisés. C’est la seule solution pour détruire la matrice artificielle de l’intérieur et devenir l’humanité de 5e dimension que nous sommes appelés à être.

Prenez conscience de vos peurs, affrontez-les et prenez conscience qu’elles ne sont en fait que des épouvantards inoffensifs qui vous empêchent de vous libérer et d’être réellement l’humain évolué et libre que vous souhaitez être et que vous méritez d’être.

Ce ne sont que nos peurs qui maintiennent la matrice artificielle en place et créent toute cette souffrance au sein du collectif humain. 

À l’intérieur même de votre esprit, deconstruisez toutes vos croyances, vos certitudes, acceptez de laisser rentrer de nouvelles idées. Vous n’êtes pas obligé d’être d’accord, juste, laissez les rentrer et observez les sans les juger, puis lâchez les.

Accueillez la différence, accueillez les points de vue inhabituels sans chercher à les catégoriser en vrai ou faux. Acceptez simplement qu’ils existent et qu’ils font partie de ce monde dans lequel vous vivez.

La diversité et son acceptation est la clé pour déverrouiller le coffre dans lequel nous sommes tous enfermés.

Vous n’avez pas besoin de comprendre pour accepter une autre réalité que la vôtre, vous n’avez pas besoin d’être d’accord pour accepter que ça existe et que c’est la réalité de certains humains.

Tout ce que vous avez à faire c’est déconstruire vos murs intérieurs et faire de leurs ruines des marches d’escaliers qui vont vous permettre de vous élever encore plus haut. L’humanité ne peut grandir que si chacun des êtres humains grandit en lui-même.

Donc acceptez la diversité, accueillez la, même si vous ne la choisissez pas pour vous-même.

Vous n’avez pas besoin de comprendre ou d’être d’accord, juste d’accepter et d’accueillir en vous et autour de vous la diversité des humains qui existent.

Et si vous faîtes vous-même partie de cette diversité invisibilisée, prenez la parole, exprimez-vous, vous n’êtes pas moins important du simple fait d’être minoritaire. 

Votre parole n’a pas moins de valeur, votre existence à elle seule est indispensable à l’humanité, sinon vous ne seriez pas là, alors soyez vous- même et soyez-en fier.

Il n’y a pas qu’une seule façon d’être humain et heureusement. Acceptez d’être des modèles pour ceux qui n’ont pas encore les moyens d’assumer qui ils sont. Acceptez d’obliger les autres à changer leur façon de voir le monde simplement en affirmant fièrement qui vous êtes, vous leur rendez service en leur imposant votre existence.

Le rejet de la différence est le fondement même de la matrice artificielle. Construire un monde meilleur c’est accepter que ce que nous refusons existe même si on ne le souhaite pas. Car en rejetant les autres c’est une part de nous que nous rejetons.

Alors acceptons nous tous, accueillons nous tous, et acceptons d’autant plus ce qui nous dérange.

Merci à tous de m’avoir lu jusqu’au bout.

Pourquoi recevoir des cadeaux et en offrir est si difficile pour les autistes ?

Cet article est la retranscription écrite d’une vidéo que j’ai créée et mise en ligne sur Youtube en décembre 2022. Vous pouvez regarder la vidéo ci-dessous et/ou lire la retranscription.

Aujourd’hui j’ai décidé de vous parler de la difficulté à recevoir des cadeaux et à en offrir.

En tant qu’autiste j’ai énormément de mal avec le mois de décembre, cette période de l’année où tous les humains semblent avoir décidé d’un commun accord qu’il fallait s’offrir des cadeaux, et donc, accepter également d’en recevoir.

En effet, offrir des cadeaux et en recevoir semble être une activité naturelle et agréable pour les neurotypiques, or, pour moi, et je pense pour beaucoup de neuroatypiques, c’est particulièrement compliqué.

D’abord, offrir des cadeaux : J’ai l’impression que pour les personnes neurotypiques, donc qui ont le même fonctionnement que l’immense majorité des êtres humains, offrir un cadeau c’est genre : je rentre dans une boutique pour me balader, “oh tiens, ça ce serait génial pour Jean-Pierre ! Je le prends. Oh et puis ça je suis sûre que Gislaine va adorer, je le prends !” Et bam, les cadeaux de Noël sont faits.

Pour moi, c’est genre : bon je suis invitée à Noël, qui va être là ? Ok. Donc il faut que je réfléchisse à qui sont ces gens. Qu’est-ce qu’ils aiment ? Qu’est-ce qu’ils n’aiment pas ? Comment est leur maison ? De quoi ils aiment parler ? Comment ils sont habillés ? Quels sont leurs loisirs ? etc… Et me voilà partie dans plusieurs heures de réflexion pour tenter de rassembler tout ce que je pense savoir sur chacune des personnes qui sera présente le jour de Noël, et tenter de trouver une cohérence parmi tous ces morceaux d’informations épars dont je dispose, afin de déceler une ligne directrice qui me permettrait d’imaginer ce qui pourrait leur faire plaisir.

 Imaginez le temps et l’énergie que ça prend lorsqu’il y a 15 invités, dont certains que l’on ne voit qu’une fois par an, à Noël… 

Soit dit en passant, l’exercice est rendu d’autant plus difficile que les autistes ont souvent une mémoire différente des neurotypiques. Personnellement je ne me souviens pas des choses de façon linéaire, comme une histoire et je ne peux pas retrouver mes souvenirs de cette façon non plus. Mes souvenirs me reviennent par association d’idées de façon complètement anarchique et incontrôlable. Donc rechercher un souvenir précis est d’autant plus compliqué. 

Je pourrais faire des choix plus “neutres”, c’est d’ailleurs ce que je fais parfois pour éviter l’épuisement, et offrir quelque chose que “tout le monde” aime. Mais il n’y a rien en réalité que “tout le monde” aime. Mettons que je veuille offrir des chocolats. C’est rassembleur le chocolat. Bah oui, mais lesquels ? Les rayons débordent de dizaines de variétés différentes. Est-ce que cette personne aime le chocolat noir ? au lait ? Aime-t-elle quand il y a de l’alcool dedans ? Et c’est reparti pour des heures de réflexions, à essayer d’établir des modèles prédictifs en me basant sur ce que je pense savoir des personnes qui aiment le chocolat noir ou le chocolat qui contient de l’alcool. Est-ce que cette personne à qui je souhaite offrir ce cadeau pourrait rentrer dans ce modèle que j’ai établi des personnes qui aiment le chocolat alcoolisé ?…

Mais imaginons que j’y arrive. Je dois ensuite choisir dans quel magasin je vais me rendre pour acheter ce que j’ai choisi pour Tata Josette. Je dois choisir quand je vais y aller. 

Vous me direz jusque là, vous aussi. 

Sauf que la différence, c’est que moi, comme la plupart des autistes, je déteste les magasins. Je déteste les endroits où il y a beaucoup de stimuli, beaucoup d’objets, beaucoup de lumière, beaucoup de choses à voir et à analyser, beaucoup d’énergies qui interfèrent avec ma sphère personnelle. Je déteste les endroits où il y a des gens, et du bruit, et plein de conversations qui s’emmêlent, que je ne peux pas m’empêcher d’entendre et auxquelles je réagis intérieurement et qui m’emmènent encore dans des réflexions épuisantes alors que je suis censée trouver le cadeau de Tonton Jean-Claude. 

D’autre part, les autistes souffrent de quelque chose qui s’appelle la dysfonction exécutive. C’est une difficulté, plus ou moins marquée, pour réaliser des actions, et qui peut intervenir à différentes étapes de la réalisation d’une action : trouver l’énergie et la motivation de le faire , trouver comment organiser les étapes qui vont permettre la réalisation de cette action, choisir de quelle manière on va la réaliser, puis réussir à la réaliser. 

Toutes ces étapes demandent beaucoup plus d’énergie à un autiste qu’à un neurotypique, et souvent beaucoup plus de temps. Entrer dans un magasin et y acheter quelque chose est un acte banal du quotidien pour beaucoup, pour nous c’est un effort qui nous rappelle à quel point ce monde n’est pas fait pour nous.

Je stimme beaucoup dans les magasins, pour tenter d’évacuer mon stress. 

Stimmer c’est faire des gestes répétitifs comme agiter ses doigts, se balancer, ou faire les 100 pas nerveusement. Sauf que j’essaie de le faire discrètement pour ne pas attirer des regards surpris.

Donc je sais que lorsque je vais m’y rendre, ça va être désagréable, ça va être épuisant, donc je n’ai pas envie d’y aller. Je ne le fais que pour répondre à cette injonction sociale qui veut que l’on offre des cadeaux à Noël, et parce que des gens m’ont invité et que ça ne se fait pas de refuser une invitation pour Noël. D’ailleurs si on tente de le faire, les gens insistent car ils veulent qu’on se sentent accueillis et pas rejetés. C’est adorable de leur part sachant qu’ils ne peuvent absolument pas imaginer les angoisses et l’épuisement que tout ça génère chez moi.

Donc comme je déteste les magasins, j’essaye d’être stratégique : si je peux, dans le même magasin, trouver les cadeaux pour plusieurs personnes, j’aurais moins de magasins à faire, donc je serai potentiellement moins épuisée.

Mais même une fois dans le magasin, comme je l’ai dit pour les chocolats : aucun article n’existe en un seul exemplaire, il y a toujours un choix pléthorique. Et là, je suis obligée de me lancer dans une étude comparative de chacun des items présents pour tenter de déceler lequel correspondrait le plus à ce que je pense savoir de la personnalité de mamie Paulette. 

J’imagine que je pourrais faire comme certains, prendre le moins cher. Mais j’ai envie de vraiment faire plaisir quand j’offre un cadeau. Car voir la déception sur le visage de la personne à qui je l’offre, après tant d’efforts passés à tenter de lui offrir quelque chose qui lui corresponde, c’est juste déchirant et déprimant et ça me renvoie une fois de plus au fait que je suis vraiment un extraterrestre et que je ne comprends pas les êtres humains.

Imaginez donc, que tous ces efforts sont à multiplier par le nombre d’invités présents. Je peux vous assurer que mes mois de décembre sont toujours éreintants et angoissants.

Mais, alors qu’on peut se dire qu’on a fait le plus dur, arrive le 24 décembre. Et là, les cadeaux il va falloir se confronter au visage de celui qui les reçoit, le verdict tombe, est-ce que ça va plaire ou pas ? J’ai l’impression d’être un accusé au tribunal, en attente de son jugement. 

Parce que, les neurotypiques disent souvent que les autistes n’ont pas d’empathie : c’est faux ! On a juste pas la même que vous. Moi, je ne comprends pas les gens, je ne comprends pas les codes sociaux, même si j’ai appris avec les années à les appliquer, mais par contre, je lis les visages. Je lis le regard des gens. Je vois ce qu’ils ressentent. Je suis une éponge, c’est pour ça que souvent j’évite de regarder les gens car leurs ressentis me polluent et j’ai déjà bien assez à faire avec les miens. Sauf dans mon boulot où là je cherche à les aider et où ce super-pouvoir est particulièrement utile.

Mais là, quand il s’agit de regarder les gens ouvrir les cadeaux que je leur ai offert, c’est une vraie torture. Sauf quand je suis sûre de mon coup, ce qui est rare, mais ça arrive avec les gens très extravertis, qui ne sont pas avares d’informations sur eux. Ils disent tellement qui ils sont dans toute leur attitude, leurs mots, leurs réactions, qu’il est plus facile pour moi de trouver comment les rendre heureux.

Mais, le pire c’est ensuite : quand c’est moi qui reçoit les cadeaux. Là le stress est à son maximum, j’ai le cœur qui bat la chamade et je suis plus que jamais dans le faux-self. 

Le faux-self pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une fausse personnalité de façade que les neuroatypiques développent et utilisent dans les interactions sociales. C’est un comportement qui correspond à ce qui est attendu par les autres, mais qui ne correspond en rien à notre vraie personnalité. C’est comme enfiler un costume. Les gens croient que c’est nous, mais non, c’est juste un masque derrière lequel on se cache, une armure qui nous protège.

Donc au moment où je reçois des cadeaux je suis dans le faux-self à fond. Le mien est relativement extraverti, souriant et sociable. Rien à voir avec qui je suis vraiment à savoir une personne introvertie, angoissée, et solitaire.

Je sais qu’en ouvrant les cadeaux, je vais me retrouver confrontée avec l’image que les gens ont de moi. Et ça fait mal car ça me rappelle à quel point cette image n’est pas qui je suis. Ça me rappelle que justement je suis dans le faux-self avec la plupart des gens que je côtoie et que pratiquement personne ne me connait réellement et ne sait réellement ce qui me ferait plaisir.

Mais surtout, il va falloir que je MONTRE une réaction. Et c’est ça le plus dur. 

Si je m’écoute, quand je reçois quelque chose, je ne suis que dans les pensées : est-ce que j’aime cet objet ? Comment je vais l’utiliser ? Est-ce que je me le serais acheté ? Comment  je vais faire pour que cet objet ne devienne pas un poids dans ma vie ? (Oui, petite précision, je suis minimaliste car les objets ont un poids énergétique dans ma vie et plus j’en ai plus je croule sous ce poids, donc j’ai besoin de faire du vide très régulièrement mais il est compliqué de se débarrasser d’un cadeau, ça me donne l’impression d’être ingrate ) Pourquoi cette personne me l’a-t-elle offert ? Quelle image a-t-elle de moi pour m’offrir ça ? Qu’attend-elle de moi ? Est-ce un message ? Cette question peut sembler bizarre, mais en tant que femme très masculine, on m’a souvent offert “des trucs de fille” : le cauchemar absolu pour moi. Le truc qui réveille des traumatismes d’enfance, quand on essayait de me faire rentrer dans une case qui n’était pas la mienne : celle des filles.

 Et dans ces cas là, au-delà du fait que je n’aime pas ce qu’on m’offre, j’ai la sensation qu’on me dit aussi : “je ne t’aime pas comme tu es, je voudrais que tu sois différente.” C’est extrêmement violent.

Bref, au moment où je découvre le cadeau, je suis en intense réflexion. Sauf que la personne qui me l’a offert me regarde et attend une réaction de ma part. Et c’est là que c’est dur. Je dois réussir à m’extraire de mon monde intérieur, bien plus confortable pour moi que le monde extérieur, et forcer mon visage à sourire, m’efforcer de dire merci, voire de commenter pourquoi j’aime ce cadeau. Et c’est un effort épuisant, même si j’aime réellement ce qu’on m’a offert.

Au final, à la fin de la soirée, je suis littéralement éreintée, vidée de mon énergie et souvent complètement déprimée.

Vous comprendrez donc aisément pourquoi, pour moi, et je pense de nombreux autistes, les “fêtes” de fin d’année sont loin d’être une fête.

Les anniversaires c’est encore pire puisqu’on est le seul à recevoir des cadeaux donc l’attention ne peut même pas être répartie sur les autres invités. 

C’est pour ça que je ne fête jamais mon anniversaire.

Donc si vous avez une personne autiste dans votre entourage, ne le prenez pas mal si, comme moi cette année, elle décide de boycotter Noël, et si ce n’est pas le cas, n’hésitez pas à lui demander ce qui lui conviendrait le mieux lors de cet évènement.

Je précise que ce que j’ai expliqué correspond à mes difficultés, et je sais qu’elles sont partagées par d’autres personnes neuroatypiques, mais pas nécessairement toutes. 

Et inversement, d’autres personnes sur le spectre autistique ou souffrant d’autres troubles du neurodéveloppement pourraient rencontrer des difficultés que je n’ai pas mentionné ici. 

De manière générale, j’ajoute enfin, que ce n’est pas parce que nous pouvons le faire que c’est confortable de le faire. Et donc partir du principe que si une personne peut, ça veut dire qu’elle n’est pas autiste, est faux. 

Parfois nous pouvons mais ça nous épuise, et tout nous épuise tellement dans ce monde que parfois, savoir précisément ce qui nous pose problème dans une situation nous est impossible. 

Cette impossibilité de savoir ce qui ne nous convient pas, est précisément ce qui nous empêche de prendre soin de nous. 

Lorsque l’on a identifié un stimulus comme problématique, on peut tenter de le supprimer. Lorsque l’on est envahi par une sensation de mal-être, de trop-plein, sans savoir d’où ça vient ou ce que l’on pourrait faire pour l’apaiser, on a juste à subir en serrant les dents et prier pour que ça s’arrête, et ça finit souvent en crise ou en burn-out.

Merci à tous de m’avoir lu, en espérant que mon expérience personnelle puisse vous permettre de mieux comprendre notre quotidien. 

Et si vous souffrez des mêmes difficultés que moi, n’hésitez pas à envoyer cet article à vos proches pour leur expliquer ce que vous vivez.